dimanche 15 avril 2012

Recherche et centres de culture scientifique

Cet article est un résumé d'un papier commandé par l'OCIM pour une publication à venir en juin 2012 sur le thème "Musées et recherche, les alliances dans le contexte des mutations". Je présente deux pistes dans lesquelles le CCSTI de Grenoble s’est engagé, avec d’autres, pour prendre une part plus active dans la co-construction des connaissances entre publics, experts et décideurs.

Atelier sur la Ville connectée à l'Ecole d'Architecture de Grenoble (2008)
La première de ces pistes trouve son origine dans le développement des études de publics pour conduire à des recherches sur les usages et les représentations des nouvelles technologies ; la seconde invite à prendre les chemins de traverse de la création contemporaine à travers des collaborations entre scientifiques, artistes, designers ou architectes, vers les horizons de l’innovation« ouverte » ou de la co-innovation. Enfin, j’essaierai de montrer en quoi ces nouvelles pratiques me semblent constituer des éléments de réponse aux attentes exprimées par nos concitoyens d’une meilleure compréhension des enjeux de la recherche et d’un contrôle partagé des recherches scientifiques.

De l'enquête auprès des visiteurs à la participation des publics

Dans les années 1990 et 2000, muséums et CCSTI ont mis en œuvre des pratiques de plus en plus réflexives, en s'emparant des différentes méthodes d’évaluation et des études de public. Ils se sont mis progressivement à produire des connaissances, en premier lieu sur les caractéristiques sociologiques de leur public, puis sur leurs motivations, et enfin sur ce que les visiteurs retiennent d’une exposition ou de toute proposition culturelle. Ces connaissances, locales, étaient d’abord destinées à améliorer, renforcer, l’offre culturelle par une meilleure compréhension des attentes et pratiques des publics. Puis, certaines institutions, concentrées sur l’élaboration de nouveaux modes de médiation bousculant le schéma classique descendant de la diffusion des savoirs, ont tenté des rapprochements entre enquête et participation des publics – les deux démarches s’inscrivant dans la même dynamique d’une meilleure prise en compte des attentes et compétences des visiteurs.

Les visiteurs sont envisagés comme un échantillon particulièrement représentatif de la fraction de la population intéressée par les sciences, les technologies, et leurs développements. La parole recherchée ne concerne alors plus uniquement l’expérience de visite et déborde du cadre de la pratique muséale ou culturelle. Il s’agit de recueillir et de mettre en circulation sur des pages internet dédiées ou parfois au sein même de l’exposition [voir photo ci-après] les témoignages, opinions, contributions diverses des visiteurs. Produits « à chaud », c’est-à-dire au moment de la visite, ou de façon préméditée (dans le cadre d’un concours photo ou vidéo par exemple), ces matériaux textuels ou iconiques peuvent devenir partie intégrante de l’exposition, et contribuer à son animation tout au long de sa présentation. Le visiteur s’implique ainsi dans le processus de médiation et, par son geste, atteste de la dimension pluraliste et participative de l’exposition.

Contributions du public dans l'expo Nano
Au-delà de ce qu’on pourrait décrire comme un simple renouveau des expériences de muséologie participative initiées dans les années 1970, ces pratiques contributives sont aussi abordées par les institutions culturelles comme des terrains pour les études de science-technologie-société (STS). Que pensent les Français des recherches et développement en nanotechnologies ? Comment abordent-ils les enjeux du changement climatique ? Ou ceux des libertés individuelles mises à l’épreuve de la société de l’information ? Les diverses contributions des publics constituent dès lors des corpus pouvant être étudiés et analysés comme n’importe quel autre. Leur étude vient donc enrichir l’état des connaissances sur les attitudes, représentations et pratiques du public vis-à-vis des sciences et techniques.

Quelques contributions du public dans l'expo Nano à la Casemate
Les musées et centres de culture scientifique technique et industrielle engagés dans cette voie envisagent leur fonction sociale non plus de manière centripète, fixés sur la divulgation de connaissances dont ils seraient les dépositaires, les gardiens ou les traducteurs, mais bien d’une manière plus inter- et proactive avec leur environnement universitaire, scientifique, socio-économique et culturel. Ils se posent en acteurs à part entière de ce que certaines nomment des « écosystèmes d’innovation », à l’œuvre sur leur territoire, au cœur d’un maillage de partenariats multiples notamment avec des chercheurs en Sciences Humaines et Sociales (SHS).

Artistes, scientifiques et médiateurs

Autre piste d’action engageant les structures culturelles dans la production de connaissances, le développement de projets croisés entre artistes et scientifiques. Certains dénonceront un effet de mode, voire d’opportunisme de la part d’artistes (ou d’institutions culturelles) cherchant de nouvelles sources d’inspiration ou de financement. D’autres discuteront à l’infini des risques d’instrumentalisation de l’art par la science – ou de la science par l’art – et des similitudes ou différences de nature des deux activités. Je m’intéresserai pour ma part à ce qui change pour l’artiste ou le chercheur grâce à ce type de collaboration.

Chercheur au CEA, Dominique David a contribué à la création de plusieurs spectacles ou installations artistiques. De ses expériences, il dessine plusieurs catégories d’apport pour son travail scientifique. De l’artiste « visionnaire », à l’artiste « aiguillon », en passant par l’artiste « utilisateur final » idéal, il témoigne de la richesse et de la variété des formes et effets sur sa pratique personnelle de la recherche. Car la confrontation avec un artiste oblige d’envisager ses propres connaissances et ses pratiques scientifiques sous un autre angle. Ce décalage produit réflexivité et resourcement ; il peut aussi conduire à de nouvelles idées, de nouvelles approches et – sans pourtant la rechercher obstinément – déboucher sur une innovation.

Sur le processus de création de l'exposition Les mécaniques poétiques d'EZ3kiel à la Casemate, 2009.

C’est pour favoriser ce type de démarche que l’Hexagone, scène nationale de Meylan, et le CEA Grenoble se sont alliés pour créer l’Atelier Arts-Sciences, comme un « laboratoire commun de recherche » fonctionnant sur l’organisation de résidences d’artistes dans des laboratoires scientifiques. Partant des inspirations ou attentes des artistes, le travail de ce laboratoire culturel consiste à identifier et mobiliser des chercheurs du CEA (comme Dominique David cité plus haut), capables de co-développer des dispositifs pour le spectacle vivant ou l’exposition. Il s’agit pour eux d’imaginer d’autres utilisations à certaines briques technologiques (capteurs, actuateurs, LEDs, nouvelles sources énergétiques, etc.), de les détourner de leurs finalités industrielles, et d’engager dans le même temps une réflexion d’ordre plutôt épistémologique sur ce qui est à l’œuvre dans ces manières de faire. Cette façon d’impliquer les chercheurs dans l’élaboration d’une création d’ordre artistique ressort d’une nouvelle pratique de la médiation entre les disciplines et les champs professionnels ; on peut y lire une nouvelle alliance d’institutions culturelles avec la recherche, fondée sur l’interdisciplinarité et la collaboration.

Une nouvelle alliance d'institutions culturelles avec la recherche

Cette alliance s’inscrit dans un mouvement plus général de renouvellement des pratiques de recherche artistique comme scientifique, et de rapport à l’œuvre, à l’expertise et au public. C’est à la fois une conséquence de la montée en compétence de l’ensemble de la population – artistes et scientifiques compris – traduite par le développement exponentiel des productions et démarches amateurs, notamment dans les domaines culturels et de la connaissance, qui bouscule le positionnement et le fonctionnement des institutions. C’est aussi une tentative d’organiser autrement la création et la recherche pour favoriser l’innovation, convaincus que les meilleures solutions s’imaginent à plusieurs, dans un esprit proche de celui du bricolage, en prenant en compte les attentes, représentations, compétences et propositions de chacun.

Vue du Fab Lab de la Casemate, à Grenoble. Lieu d'échange et de création entre amateurs, artistes et scientifiques.
Ainsi, poser la question de la recherche dans les structures culturelles et muséales conduit à observer, documenter et analyser le rôle que ces dernières peuvent prendre dans la recherche contemporaine. Retourner la proposition permet de se focaliser sur une recherche hors les murs, partenariale, associant les amateurs – en « plein air » pour reprendre l’expression stimulante de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe dans leur ouvrage Agir dans un monde incertain, essai sur la démocratie technique – dans laquelle publics et artistes sont invités à s’engager (lorsqu’ils n’en sont pas à l’initiative). Dans des sociétés qualifiées de « société de la connaissance », comment mieux mettre la science en culture, partager et questionner les savoirs, socialiser les innovations, que d’imaginer de nouvelles modalités de co-construction de ces savoirs accessibles à des acteurs multiples et divers ? Rompre avec le modèle historique diffusionniste de la culture scientifique tout en renouant avec les recherches en train de se faire, tel est le programme que, pas à pas, certaines institutions culturelles tentent d’élaborer et de mettre en pratique. A suivre…

1 commentaire:

temps a dit…

Bonjour,
Une remise en question évidente.
Belle initiative.
Cordialement