Remettre en cause la traditionnelle vision linéaire de la diffusion des savoirs implique de considérer aussi les scientifiques comme un public potentiel. Les approches "sciences et société" conduisent non seulement à s'interroger sur la société et ses dynamiques, mais aussi sur la science, son histoire, ses pratiques, ses acteurs, son épistémologie. Force est de constater aujourd'hui, en Rhône-Alpes comme dans l’ensemble de l'Europe, que trop peu de scientifiques des sciences dites "dures" sont formés à la réflexivité, c'est-à-dire à l'histoire et à la philosophie de leur discipline. A l'heure où de nombreuses avancées scientifiques et technologiques, et tout particulièrement en Rhône-Alpes (nanotechnologies, biotechnologies, numérique, etc.) font débat dans la société, au moment où l'appel à la responsabilité des scientifiques et la "demande éthique" n'ont jamais été aussi insistants (inscription du principe de précaution dans la Constitution Française, code Européen de bonnes pratiques pour un développement responsable des recherches en nanosciences et nanotechnologies), les chercheurs sont de plus en plus nombreux à exprimer leur désarroi et leur incapacité à comprendre et à réagir à la situation.
Comment relever ce défi dans les prochaines années ? Comment faire comprendre que « le risque zéro n’existe pas » alors que tant d’efforts sont concentrés pour l’atteindre ? Renforcer la formation initiale des jeunes scientifiques par des cours d’histoire, de philosophie et de sociologie des sciences semble le minimum, tout comme créer, comme l’a recommandé le comité d’éthique du CNRS dans son rapport sur les nanotechnologies, un « espace éthique » dans les laboratoires qui le souhaiteraient. On peut craindre que cela soit insuffisant, car la question de la responsabilité est liée à celle de la confiance. Il s'agit alors de rendre publics les mécanismes de décision, d'orientation, de financement (voire de pilotage) de la recherche, et de débattre collectivement de la manière dont les "attentes sociales" s'expriment. Car, pour prendre en compte les besoins de la société et assumer une recherche responsable, encore faut-il les cerner et les comprendre. Plusieurs visions s'affrontent en la matière : celle qui confie cette mission au marché et aux entreprises ("s'il y a besoin, il y a marché"), cette autre qui confie la mission au gouvernement et aux pouvoirs publics (notion d'intérêt général), cette dernière encore qui, se défiant des deux précédentes, préfère miser sur le "tiers secteur" (associations, syndicats et ONG) pour se faire l'écho de ces attentes sociales. Une quatrième vision, dans laquelle nous nous retrouvons plus volontiers, consiste à articuler ces trois approches en ouvrant la discussion avec l'ensemble des parties prenantes. Dans cette dernière approche, la responsabilité des scientifiques est certaine mais elle est circonscrite, car il s'agit de ne pas sous-estimer la responsabilité des autres parties en jeu - y compris la notre, celle des médiateurs, et celle des citoyens et des consommateurs.
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A suivre demain sur Making Science Public : La question des représentations des innovations scientifiques et industrielles
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Illustration : photo prise lors d'un des débats publics NANOVIV, organisés par le CCSTI Grenoble et VIVAGORA
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