Le premier acte vient donc de s'achever. "Plus de 150 personnes se sont inscrites et sont venues participer à ce colloque" s'est félicité, en introduction, Roger Fougères, Vice-Président en charge de la recherche à la Région Rhône-Alpes et instigateur de ces 2 journées. Puis, pas moins 12 conférenciers sont intervenus. Que retenir de ces longues heures de discours ?
Sérendipité. Quelques mots savants ont marqué les esprits. Par ordre d'apparition, on retiendra "sérendipité" (au secours ! allez lire la définition dans wikipédia) proposé par le premier intervenant, Alexei Grinbaum, philosophe, chercheur dans un nouveau labo du CEA, le LARSIM (voir le site web du labo ; labo dirigé par le célèbre physicien/philosophe Etienne Klein). Pour Grinbaum, les recherches en nanotechnologies sont particulières dans la mesure où l'objectif des chercheurs consiste non pas à élaborer des lois, mais à susciter des comportements inconnus, dont les découvertes révèlent pour une grande part de surprise - cette fameuse «sérendipité». Vous avez dit apprenti sorcier ? Et Grinbaum de conclure sur un slogan qui fait recette, semble-t-il, aux USA : "small is infectous". D'après lui, ceci résume la définition sociale actuelle des nanos : compte comme nano tout ce qui est petit, invisible, imperceptible... et dangereux, tel un virus. Nous en saurons plus au printemps 2008, avec la publication de son sur "Le débat sur les nanosciences".
Oxymore. Et puis ce fût au tour de Bernadette Bensaude-Vincent, philosophe à Paris 10. "Slogan racoleur, nano c'est le royaume de l'oxymore" nous a-t-elle déclaré (encore merci pour la définition wiki !). Car on entend en permanence "2 sons de cloche" à propos du développement des nanotechnologies : "ça va tout changer, c'est la prochaine révolution !" et "ça ne change rien, on fait des nanos depuis des décennies déjà !". Pour la philosophe, la nouveauté de la situation tient plutôt à la conjonction de 3 contextes : le contexte scientifique (et le concept de convergence NBIC), le contexte social (crise de confiance dans les sciences et recherche d'une nouvelle gouvernance) et le contexte politique (la globalisation). Bensaude-Vincent insiste sur cette dernière donne : "la mobilisation politique et financière actuelle pour les nanotechnologies est comparable avec celle mise en œuvre pour le projets Manhattan, ou le Plan Calcul. Nous sommes en guerre économique !".
Money for nano. Outre les mots savants, les chiffres prononcés ont aussi été impressionnants. Les nanotechnologies pourraient représenter un marché de 1000 milliards de dollars en 2014. Dans un exposé brillant asséné à la vitesse de la lumière, Françoise Roure, économiste au Ministère de l'économie et des finances, nous a brossé un tableau mondial et concret des enjeux économiques et financiers du développement des nanotechnologies. Où l'on appris, par exemple, que "aux Usa, les investissements privés ont dépassé les investissements publics", ou encore que "la Corée se positionne comme le leader mondial de la production de mémoires de quelques dizaines de nanomètres". Répondant à l'intitulé de cette journée de réflexion, Françoise Roure est convaincue de la nécessité de créer un Observatoire, afin de fournir aux décideurs des statistiques et des éléments concrets (coût : 4 M€ supportés par la CE).
Tox, écotox, nanotox. Bien évidemment, il y eut de nombreuses questions du public (notamment des 35 citoyens panélisés pour l'occasion par la Région) à propos des risques pour l'homme et pour l'environnement que certaines nanoparticules ou nanoproduits pourraient engendrer. Où en sont les études d'impact ? Combien l'état ou l'Europe financent-ils ? Quelle proportion du budget global "nano" pour la "nanotoxicologie" ? Quels sont les premiers résultats ? Pourquoi ne fait-on pas de recherche sur la toxicité des produits avant de les mettre sur le marche ? Les réponses ont été moins claires que les questions. Le représentant de la Direction Générale des Entreprises a même essayé de remplacer "risque" par "crainte" ! La vérité, c'est que la toxicologie est un secteur sinistré en France, qu'il y a très peu de chercheurs dans cette discipline. Alors même si des crédits commencent à être flêchés vers des études d'impact, les chercheurs capables de les réaliser ne sont pas légion...
Les nanotechnologies, bonnes pour l'environnement ? C'est ce qu'a tenté de nous démontrer Mehdi Moussavi, du CEA Liten, à travers un exposé très intéressant sur "l'apport des nanotechnologies dans les développements des sources d’énergie". Que ce soit pour optimiser le platine utilisé dans les piles à combustible (et dont les stocks sur Terre ne suffiraient même pas pour équiper seulement 20% du parc automobile mondiale en PAC) ou développer de nouvelles générations de cellules photovoltaïques, les nanotechnologies semblent pourvoir apporter des solutions. Toujours au chapître environnement, Jean-Yves Bottero, CNRS, Université Aix-Marseille 3, a montré comment certaines nanoparticules de fer pouvaient contribuer efficacement à la dépollution de l'eau (lire l'excellente interview de J-Y Bottero sur ce sujet dans Vivant Info). Bottero et son équipe mènent aussi des recherches sur des nouvelles membranes nanostructurées pour filtrer l'eau, simples à utiliser, idéales pour les pays du Sud. [Une idée déjà commercialisée en Angleterre, par l'entreprise Life Saver Systems].
Et l'éthique dans tout ça ? Dans le scénario prévu par les organisateurs de cette journée, les questions éthiques étaient réservées au médecin du groupe, François Berger, responsable des activités cliniques de neuro-oncologie au sein l'unité Inserm 318, et membre du réseau Européen Nano2Life. Pour lui, les nanotechnologies conduisent au développement d'une médecine radicalement nouvelle, la "nanomédecine". Diagnostic ultra-précoce, ciblage des médicaments, chirurgie non invasive, nouvelles prothèses, monitoring permanent, médecine personnalisée... comptent parmi les principales caractéristiques de cette nanomédecine. Mais François Berger pointe aussi les dangers : une approche réductionniste d'un humain ravalé à un amas de cellules, une dérive vers la médecine d’amélioration (voire d'augmentation : dopage), l'ambition démiurgique de créer un "homme hybride" ou "transhumain", ou encore des patients sans médecins, livrés à eux-mêmes et surtout à leurs (nano)machines. "Plus que jamais, le médecin et son rapport au patient seront nécessaires dans la nanomédecine.
Fin du 1er acte. "L'innovation n'est pas un long fleuve tranquille" nous avait assuré le sociologue des sciences Dominique Vinck en début d'après-midi. Des remous pourraient donc bien se faire sentir le 2 octobre prochain, lors du 2ème (et dernier) acte de ce colloque, qui sera consacré aux "mesures d'accompagnement". A suivre...
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Source des illustrations :
1) Couverture du n°1 de la revue anglaise "Nanonow" (http://www.nanonow.co.uk/). Image utilisée par Alexei Grinbaum dans sa présentation.
2) Image utilisée par le site de l'entreprise Life Saver Systems (http://www.lifesaversystems.com/index.html)
3) Jessica Burns, Up up and away with nanotechnology (http://www.clarion.edu/departments/phys/nanotech/art/)
4) Primo Posthuman 2005 "More comfort, better performance,lower price." (http://www.natasha.cc/primo3m+diagram.htm)
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