mercredi 13 avril 2011

Relier autrement les arts et les sciences

Leonardo - Vol.44 #1 - 2011
A l'occasion de la préparation du premier colloque Art/Science organisé dans le cadre de la Biennale les Rencontres i 2011 [web] en octobre 2011, j'ai voulu en savoir plus sur l'état de la question de l'autre côté de l'Atlantique, aux USA. Je livre ci-dessous la traduction de l'éditorial de Roger F. Malina, Directeur de la rédaction de la célèbre revue Leonardo, publié début 2011 (vol.44, n°1). Dans ce texte, l'auteur explique la nécessité de relier autrement les arts et les sciences...

Récemment, une conférence co-organisée par la National Science Foundation (NSF) et le National Endowment for the Arts (NEA) invitait les participants à rechercher de nouvelles façons de penser les relations entres arts et sciences aujourd’hui, et comment ces deux agences gouvernementales pouvaient promouvoir ensemble les secteurs émergents des développements culturel et scientifique. Parmi les participants, on comptait des artistes, des scientifiques et des ingénieurs, de même que des doyens d’Université et des responsables de lieux art-science alternatifs. Cette première conférence était centrée sur l’informatique et les technologies numériques ; la suivante s’intéressera aux arts et aux sciences de la vie. L’an prochain, la NSF sera partenaire de la conférence art-science intitulée : "l’art, mode de connaissance" [Art as a way of knowing], organisée à l’Exploratorium de San Fransisco, qui associe depuis plus de 40 ans des artistes avec des scientifiques et des ingénieurs. 

Experiments in Art and Technology - 1967.
Pourquoi ce regain d’intérêt aux connections entre les arts les sciences ? Ce sujet a été déjà largement débattu depuis plusieurs siècles, au moins depuis la Révolution scientifique. Au 19ème siècle, des personnalités très connues, comme Goethe, étaient actives à la fois dans les arts et dans les sciences. Samuel Morse, l’inventeur du célèbre code, était peintre. Dans les années 1920-1930, le mouvement du Bauhaus s’appuya sur une relation forte entre artistes, scientifiques et industriels. Dans les années 1950, le débat sur "Les deux cultures" lancé par C.P. Snow ranima les volontés de relier les arts et les sciences [discussion]. Dans les années 1960, des artistes comme Rauschenberg et des ingénieurs comme Billy Klüver fondèrent le collectif "Experiments in Art and Technology". Alors, quoi de neuf aujourd’hui ? 

D'abord, cette génération d'artistes nés avec le numérique se sent chez elle dans les domaines de l’informatique. Le programme NSF Creative IT reconnaît ce nouveau domaine de recherche. Le programme NEA Audience 2.0 met en avant les nouvelles formes de création artistique et de diffusion des œuvres par les médias électroniques - et le public croissant. Utiliser des ordinateurs est devenu une seconde nature pour ces artistes, de même qu’orienter la recherche en informatique dans de nouvelles directions pour répondre à leurs besoins. Tout ceci a conduit à l’émergence de nouvelles industries dites "créatives" et de loisir. 

Cinématique, Adrien Mondot / Compagnie Adrien M. 2010.

A la fin de cette conférence NSF-NEA, le mot "créativité" était presque devenu déplaisant – trop utilisé et souvent dans une acception approximative. La créativité de qui ? La créativité pour quoi faire ? Ce qui est apparu clairement, c’est qu’il existe une communauté nouvelle, évoluant rapidement, constituée d’artistes, de scientifiques et d’ingénieurs travaillant ensemble ; une "communauté de pratiques" en réseau émergeant à travers diverses "communautés d’intérêt". La plupart de ces individus ou collectifs créatifs travaille dans des cadres informels : groupes de hackers, militants du "do-it-yourself", centres d’art alternatifs, mouvements de popularisation des sciences(1). La question qui se pose alors est comment mettre en réseau et croiser ces collectifs avec les programmes plus institutionnels ?

Le leitmotiv "la créativité pour quoi faire?" traduit le souci de remettre l’innovation technologique dans un contexte social et culturel, comme le renouvellement urbain, le changement climatique et les énergies renouvelables, ou encore les questions de santé. "Notre Ville" [Our Town], un appel à projet lancé par la NEA visant à associer des artistes au redéveloppement urbain, fournit peut être un des exemples qui pourraient motiver de nouveaux programmes art-science. Car les nombreux enjeux auxquels nous sommes confrontés, individuellement ou collectivement, imposent de relier les arts et les sciences.

D’autres discussions ont porté sur la nécessité de renouveler la réflexion sur la créativité face aux gigantesques flux d’information et de connaissances distribués en réseau, et sur l’impact de la culture numérique dans sa manière d'intégrer les arts et les sciences dans la société. Le récent rapport de la Fondation Macarthur sur Le futur des institutions éducatives à l’âge numérique [pdf] et celui du Conseil National de la Recherche intitulé Au-delà de la productivité : informatique, innovation et créativité [web] fournissent de bons points de départ à cette réflexion. Les cloisonnements et les divisions à l'intérieur des universités, comme dans les institutions financières, semblent mal adaptés aux rapides évolutions multi/inter/transdisciplinaires des pratiques artistiques, et plus particulièrement aux évolutions rapides du domaine des collaborations art/science.

L’expression "Alt.Art-Sci" (2) a émergé de nombreuses fois pendant les discussions, comme une prise de conscience que le "business-as-usual", le fonctionnement routinier, nous ferait rater l'essentiel. Nous devons renouveler notre approche de l'innovation pour travailler dans cette culture en réseau qui émerge. Nous avons besoin de rechercher où la créativité la plus excitante est en cours, de cibler les enjeux auxquels nos communautés sont confrontées, et d’étudier  la manière d’exploiter les nouvelles connexions entre approches scientifique, technologique et culturelle pour contribuer à la création d’une société plus durable.

Traduction de l'américain. Texte original de Roger F. Malina.

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Notes :
(1) people’s science movement – référence aux mouvements militants d’éducation scientifique en Inde dans les années 60 qui prônaient la diffusion de la culture scientifique et technique pour aider les populations à sortir de la pauvreté et prendre en main leur développement.
(2) Alt. = alternative – référence au vocabulaire utilisé dès la mise en place des premiers forums de discussion sur internet. Préfixe signifiant des approches non officielles, non institutionnelles.

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