mercredi 22 avril 2009

Nano : qu’attendre du grand débat national ?

Respectant un engagement pris lors du Grenelle de l’environnement, le Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire (MEEDDAT) a saisi officiellement la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), au nom de 6 ministères (économie, travail, agriculture, enseignement supérieur et recherche, défense, santé), pour organiser un débat public sur les nanotechnologies à l’échelle nationale [lire texte décision officielle de la CNDP]. Programmés pour le second semestre 2009, des débats vont être organisés dans une vingtaine de villes française – dont Grenoble et Lyon – animés, comme il est prévu dans le fonctionnement de la CNDP, par une CPDP (commission particulière du débat public) présidée par Jean Bergougnoux. Concrètement, nul ne sait encore la forme que prendront ces débats, si ce n’est que les universités sont sollicitées pour, éventuellement, prêter des locaux, et qu’un document d’initialisation des débats comportant à la fois des définitions scientifiques et des présentations d’enjeux devrait être publié dans les mois qui viennent. Le réseau des centres labellisés "Science et culture, innovation" devrait aussi être sollicité par le ministère de la Recherche, dans un objectif qui reste encore à préciser aujourd’hui.

A qui profite le crime ? A quoi (à qui) ça sert d’organiser un débat public national sur les nanos ? Sans remettre en cause l’absolue nécessité de réguler, élucider, évaluer, étudier, critiquer, informer sur les divers risques et incertitudes auxquels nous confronte un grand nombre de recherches et développements en nanosciences et nanotechnologies, on peut se poser la question de la finalité de ces débats. Car en la matière, l’expérience – contrairement aux idées reçues – révèle bien souvent des résultats contre-productifs. Frustration des participants, génération d’angoisse ou d’inquiétude chez les néophytes, surenchère parfois caricaturale des débatteurs, renforcement des antagonismes, et surtout absence de connexion claire avec la décision politique, l’éventail des griefs faits au débat public est large, et de surcroît proportionnel au degré de généralité du sujet. Qu’attendre alors d’une vingtaine de débats publics sur les nanos ? Sachant que d’importants financements sont annoncés par le Président de la République (projet NanoInnov), et qu’au moins 3 grands sites universitaires, scientifiques et industriels (Orsay, Toulouse, Grenoble) ont été labellisés « pôle de compétitivité de dimension mondiale » il y a déjà plusieurs années ? Une simple opération de « com’ » ? – ce serait faire preuve d’une légèreté écrasante de la part des ministères impliqués.

Car le débat public a des vertus. Par les enquêtes qu’elles ont menées auprès du public visitant l’exposition Nanotechnologies : infiniment petit, maxi défis à la Casemate à Grenoble fin 2006, les sociologues Marie-Sylvie Poli et Pascale Ancel ont montré que les personnes interrogées souhaitaient vivement l’organisation de débats publics pour éclaircir les différents enjeux des nanotechnologies. Cependant, à la question « souhaiteriez-vous participer à ces débats publics ? » ces mêmes personnes répondent ne pas vouloir s’engager personnellement dans ces débats. Qu’elles en attendent d’abord de l’information contradictoire, afin de nourrir leur propre opinion auprès de plusieurs « sons de cloche », de préférence discordants. Une forme de vigilance passive. Une attente sensiblement différente de celle des militants de la démocratie participative qui revendiquent de connecter le débat public directement à la décision politique, ce qui peut conduire parfois à une certaine instrumentalisation des premiers par les seconds, consistant à labelliser leurs propres opinions de « recommandations des citoyens ». Est-ce cela que recherchent certaines associations ou ONG militants pour un « débat public national » sur les nanos ?

Education à la citoyenneté.
Certes, rechercher tous les moyens d’articuler harmonieusement action et réflexion, décision et délibération, information et opinion, reste l’horizon dont chacun d’entre nous, élu ou non, scientifique ou non, ne doit cesser de vouloir s’approcher. Le débat public, tel qu’il se conçoit traditionnellement en France, n’est peut-être pas la meilleure façon d’y parvenir. En revanche – et en amont de cette ambition – le débat public, s’il suit les règles d’équité et d’argumentation établies dès l’antiquité grecque, se révèle un exercice efficace pour l’apprentissage de la citoyenneté (et pas seulement pour les plus jeunes). Savoir écouter, argumenter, distinguer la passion de la raison, respecter les règles…constituent autant de compétences citoyennes fondamentales qu’une pratique régulière du débat public peut permettre de développer. Ce point de vue est défendu notamment par l’Education Nationale dans le programme « ECJS » (éducation civique, juridique et sociale). Bien sûr, nous voici loin des nanos – et vraisemblablement de la commande des ministères. Et pourtant… agir en conscience, comprendre des arguments différents des siens, appréhender la complexité exigent un effort intellectuel, un exercice qu’il est nécessaire d’appliquer à la question nano si on souhaite la traiter efficacement.

Par delà le débat public. Surtout, il ne faudrait pas que cette grande initiative nationale constitue la réponse unique et définitive aux questions « sciences/société » posées par le développement des nanosciences et nanotechnologies. Le débat public est un moyen peut être nécessaire, mais pas suffisant, de parvenir à un meilleur « engagement du public dans la science » comme disent les Anglais (Public Engagement in Science). D’autres moyens, complémentaires, existent ou sont à inventer. Comme par exemple la création de scénarios prospectifs avec le public ou encore le travail collaboratif artistes/scientifiques…

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Pour suivre la mise en place du débat national sur les nanotechnologies : http://www.debatpublic.fr/
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Les illustrations sont de François Olislaeger.

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